ave maria. (sisoès)

Fiercastel a accueilli un nouveau prêtre. La nouvelle a fait le tour du village en à peine quelques heures. T'en as été informée au barbier de maman dans lequel tu travailles en tant qu'apprentie depuis septembre dernier. L'annonce ne t'a fait ni chaud ni froid, parce que le prêtre, ce n'est pas la personne avec qui tu passes beaucoup de temps, bien que tu sois pas mal investie dans la vie religieuse du village. Avec deux parents pratiquants, tu n'as pas vraiment le choix. Ça t'a quand même fait un peu bizarre que le vieux prêtre que t'as connu toute ta vie a décidé de plier bagages, sûrement pour profiter de ses derniers jours sur une plage quelque part. Chanceux ! Quoi qu'il en soit, tu ne t'es pas vraiment préoccupée de cette histoire jusqu'à ce que tu passes devant l'église mardi soir et que tu lises une annonce concernant la chorale de laquelle tu fais partie depuis que t'es gosse. Un remodelage. Des auditions. C'est quoi ce bordel ? Ça te dérange que ce mec se croit permis de tout reprendre à zéro. Mais en même temps, c'est quand même vachement excitant le changement. Du coup mercredi soir, après le boulot, t'as décidé de te rendre à cette fameuse audition. Pas question que tu perdes ta place au sein de la chorale de Saint Jean-Baptiste. T'as revêtu l'une de tes plus jolies robes. Robe d'enfant sage. Robe sobre. Loin de ce que tu portes d'habitude. Tu pénètres dans l'église que tu connais un peu comme ta poche. Il n'y a personne. Le bruit de tes pas résonne dans le bâtiment en pierres. T'as toujours aimé ça, étrangement, la sérénité qui se dégage de ce lieu. Tu te plantes devant l'autel et t'attends. T'attends qu'il se passe quelque chose. Que quelqu'un vienne briser le silence des lieux.

Saint Jean-Baptise de Fiercastel.

Je laisse échappé un long soupir en ouvrant les portes de l'église en cette après midi, holy shit ça me fait le même effet que la première fois que j'en ai poussé les portes:

Dieu sait que je ne suis pas du genre à cracher dans la soupe mais le moins qu'on puisse dire c'est qu'ici n'a ni goût, encore moins de grâce. Loin d'être baroque il est clair que nous ne sommes pas à Saint-Pierre de Rome ni Notre-Dame de Paris, là où je ne pourrait jamais prétendre au sens propre comme au figuré raison pour laquelle je m'en contente.

Et la maison de Dieu, c'est de toute façon toujours tellement mieux la maison d'arrêt, sachant que j'ai quand même fait l'équivalent de 6 années de détention dans plusieurs prisons à travers la France: Brest, Lyon, Aiton...Logé nourri blanchi et éduqué soit plus que ce qu'on ne m'a jamais donné avant que je soit adopté ces séjours à l'ombre sont loin de m'avoir traumatisés, il n'empêche que rien ne vaut une assiette du 1908 comparé aux gamelles à l'arrache de certaines prisons que j'ai visité.

Décidé à m'établir durablement, aujourd'hui je m'investi au sein de la paroisse en tant que prêtre ça va sans dire, mais également auprès de sa chorale pour en faire un petit bijoux. Je sais d'expérience que les tickets pour les représentations quand elles sont bonnes se vendent chères surtout dans des coins où la musique classique et sacrée n'est accessible qu'à plusieurs heures de voiture de la salle de concert ou de l'opéra le plus proche. Entre un choeur live et la retransmission du concert d'André Rieux à la télé le soir de la messe de Noël, beaucoup seraient tout décidés du moins, c'est ce que j'espère.

Bien que grand mélomane, je ne peux pas mener en même temps la messe et le choeur, je me suis donc proposé comme trésorier mais en attendant le chef de choeur, j'ai pris les devants en organisant des auditions: Placardées depuis ma première messe dimanche derniers sur les panneaux d'affichage de l'église, de la place du château ainsi que sur les vitrines des commerçants de la rue des cerisiers, j'ai lancé une invitation à toutes celles et à ceux intéressés à me rejoindre cet après midi.

Et j'attend dans une espèce de pénombre, les vieux vitraux ne laissant plus passer la lumière comme ce fut certainement le cas dans le temps, et je tourne en rond, testant l'acoustique médiocre du choeur de l'église en frappant sur l'autel de marbre tout de même, mais fêlé, prêtant l'oreille à l'écho dégueulasse qui se propage sous la voutes étoilée décrépie jusqu'à ce que je remarque les pas qui viennent de faire leur entrée sur les pavés de pierre froide que je vais fouler ici le temps que cela durera.

Au point où on en est, je n'attend pas grand chose de ces auditions si ce n'est sans doute de me retrouver face à une ado boutonneuse et binoclarde qui joue de la clarinette et pousse la chansonnette à ses heures perdues soit tout le temps. Ma surprise est réelle lorsque je me retourne et que mes yeux se posent sur une jeune femme bien mise, bien jolie et plutôt bien sure d'elle.

Je prend à nouveau conscience d'être dans la pénombre mes yeux se plissent en y sortant pour me dévoiler au plus grand jours et à ses yeux.

"Bienvenue."

Mes pas dans sa direction nous rapprochent, mes yeux la toisent furtivement avant de continuer les présentations.

"Père Sisoès de Pontbriand. Et toi qui est tu: Soprano, Alto 1, 2 peut être ?"

C'est mon impatience qui parle: J'ai de l'ambition pour la chorale et le regard de cette fille semble à la hauteur, quand est-il de sa voix ?